L’Aleph, un texte à la manière de Borges…

L’Aleph est une sphère magique de quelques centimètres de diamètre qui donne à celui qui la regarde le regard de Dieu, la vision simultanée de la planète entière et de tous les temps qu’elle a traversé.
Dans Pensées, Pascal la décrit comme « une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. »

Oui, j’ai vu tous les petits points noirs qui, en s’éloignant, forment les lettres des affiches. Les points noirs et rouges des petites bêtes, ceux de la peau malade et tous ceux, blancs, qui éclairent l’univers. J’ai vu le vert de ta chambre, celui que tous les autres détestent et que tu chéries.
J’ai vu le soleil bas, tâché d’horreurs mystiques… As-tu vu que j’ai emprunté cette phrase à Rimbaud ?
J’ai vu tous ces livres jetés, perdus et brûler ! J’ai vu la lueur rougeoyante d’une bougie posée sur la table d’un dîner amoureux. Deux regards fermes, durs et à la fois étrangement tendres s’échanger.
J’ai vu la nuit noire et froide de l’infini, l’éclat brut du morceau de verre que l’enfant s’amuse à projeter sur son maître, les interminables journées et la peur, le soir, des monstres cachés.
J’ai vu Hitler, Georges et les autres. Et une grand-mère, malheureuse.

Je vois ces dents blanches entre ses lèves serrées qui retiennent son rire. Je vois dans l’invisible les prémonitions, les craintes et la mort. Je vois un double décimètre séparant un segment en deux : l’infiniment grand et l’infiniment petit.
Je vois le petit garçon récitant ses tables de multiplication et l’avenir plein d’aventures dont il se nourrit avidement pour mieux rêver. Je vois le bout du chemin, celui qui mène à cette si jolie clairière à l’herbe fraîche sur laquelle nous nous sommes endormis.
Et oui, dans les limbes, je vois les anges et les démons. Ils jouent ensemble aux dominos et aux dés. Je vois bien qu’ils ont l’air gentils finalement. Et aussi dans leurs rêves, nocturnes ou éveillés, je les vois, les anges, les démons mais aussi toi, lui, elle. Je les vois tous. Et ils oublient, les bienheureux ! Oui ! En oubliant, ils voient leurs rêves !

Puis je verrai le jour ce lever, tous les jours, et les vieux se coucher pour toujours.
Je verrai le passé d’un autre œil et je verrai mon ignorance. Mon œil n’en est pas à une contradiction près.
Enfin bon, je verrai…

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